THERESE DE LISIEUX
  La Guérison par Le Sourire
 

              

                                                 

           
 

Le sourire de la Sainte Vierge



Le sourire de la Vierge à Thérèse le 10 mai 1883 pourra seul panser la blessure inguérissable que fut pour
Thérèse enfant,

la mort de sa maman.
Dans une poésie de 1895,

Thérèse rappellera le souvenir de cette
Mére Incomparable.....


« mère incomparable » :

« De Maman j’aimais le sourire ;

Son regard profond semblait dire :

L’éternité me ravit et m’attire...

Je vais aller dans le Ciel bleu, Voir Dieu !
»

(PN 18.8)



Une Blessure Profonde


La relation Thérèse avec la Vierge Marie n’est pas de l’ordre de la dévotion, mais de la relation vitale.
En effet, Thérèse Martin a perdu sa mère lorsqu’elle avait 4 ans 1/2 et ce drame familial l’a marquée profondément. Elle en a été remise par une grâce qu’elle reçut à Noël 1886, à l’âge de 14 ans et demi. Parmi les conséquences de cette mort, il y eut une maladie qu’elle eut lorsque sa soeur Pauline est entrée au Carmel.
Thérèse est tombée gravement malade à l’âge de 10 ans, une maladie dont elle disait qu’elle ne savait pas si elle allait en mourir ou rester folle.
La médecine du temps était impuissante.
Dans sa famille et au Carmel où se trouve sa soeur Pauline,
on prie spécialement Notre Dame des victoires, en raison de ce grand sanctuaire parisien très aimé par les Martin et les Guérin.

L’étrange Maladie

Jésus ravit Pauline à Thérèse lorsque sa seconde maman la quitte pour entrer au Carmel de Lisieux.
La brutalité du choc rappelle celui de la mort de Mme Martin.
Dans les deux cas, personne n’a pensé à donner des explications à Thérèse et à la préparer à assumer ces événements douloureux.

La souffrance que Thérèse vit lors des visites à sa soeur devenue carmélite traduit son impuissance à accepter cette séparation.
Pourtant Thérèse attribue à cette souffrance un rôle dans sa croissance :
« Il est surprenant de voir combien mon esprit se développa au sein de la souffrance ;il se développa à tel point que je ne tardai pas à tomber malade. »
(Ms. A 27r°)
Le déclenchement de la maladie est lié à l’évocation par l’oncle Guérin du souvenir de la mère de Thérèse
alors que celle-ci se trouve
séparée de ses proches partis en voyage.
Thérèse va connaître alors plusieurs semaines de délire dont elle ne sortira que moyennant un acte de foi en l’amour de la Vierge Marie
pour elle ; tournée vers la statue de Marie, elle crie « Mama Mama ».

Cette statue par laquelle la Vierge avait parlé deux fois à Madame Martin, avait été mise au pied du lit de Thérèse.

Toute la famille prie la Vierge d’intervenir et Mr Martin fait dire des messes à Notre-Dame des Victoires.

Thérèse transfère alors sur la Vierge Marie son besoin vital d’affection maternelle.

La Vierge Marie représente la sécurité qu’offre une mère toute puissante
et porteuse de vie que ni la mort ni le Carmel ne pourront ravir à Thérèse.
La foi en Marche rend alors possible une nouvelle naissance à travers la perception du 
sourire de la Vierge, signe de son amour et de sa protection.   

La Vocation Mariale

La Vierge du sourire
Thérèse, privée de sa mère, avait trouvée en sa soeur Pauline une seconde mère.
Son propre père avait joint à son amour pour elle un amour vraiment maternel (cf. f.13r°) ;
l'ensemble de la famille offre d'ailleurs à Thérèse, dans le cadre des Buissonnets, un milieu protecteur et maternel
elle n'est heureuse que là ! Le rôle de Pauline est prépondérant et son départ au Carmel constitue un choc émotif profond pour Thérèse.
Lorsqu'à Pâques 1883 elle se retrouve chez son oncle et sa tante en raison de l'absence de son père et de ses deux soeurs Marie et Léonie,
Thérèse sombre alors dans une maladie nerveuse qui consterne toute la famille.

De retour aux Buissonnets, elle est l'objet d'une attention constante de la part de sa soeur aînée
Marie sur laquelle elle a reporté tout son besoin de tendresse maternelle.

On a placé près d'elle cette fameuse statue de Marie "qui a parlé deux fois à Maman." (f.29 v°)

Thérèse lui exprime toute sa détresse.
Le récit qu'elle nous fait de la lutte qui précéda la grâce de sa guérison est poignant.
C'est le cri d'un tout petit enfant que Thérèse prononce avec une angoisse d’une intensité croissante :
« Mama... Mama... » (f.30r°)
Sa soeur aînée accourt et s'agenouille auprès d'elle en se tournant vers la statue;
puis Céline et Léonie viennent faire de même.

Thérèse est au plus profond de l'abîme :
« Ne trouvant aucun secours sur la terre, la pauvre petite Thérèse s'était tournée vers sa Mère du Ciel;
elle la priait de tout son coeur d'avoir enfin pitié d'elle. » (f.30r°)
C'est alors que le miracle se produisit.
Thérèse voit la Vierge Marie lui sourire.

Celle qui nous fut donnée par Jésus lui-même comme signe de la tendresse maternelle de Dieu a répondu au cri désespéré de sa petite fille.

Une Nouvelle Naissance

Qu'est-il advenu au juste ?
Lorsque Thérèse rétablie va rendre visite au Carmel pour y voir sa soeur Pauline,
les carmélites l'accablent de questions sur cette vision.

Thérèse est décontenancée.

On cherche à se représenter ce qui fut surtout une grâce spirituelle de certitude intérieure,
la certitude d'avoir en Marie la Mère la plus belle, la plus souriante, la plus aimante qui se puisse désirer.

Elle qui vivait dans le délire depuis plusieurs semaines n'aurait-elle pas menti ?
Cette question va devenir la cause d'un tourment intérieur qui ne s'apaisera que quatre ans plus tard
devant la statue de Notre-Dame des Victoires à Paris.

Thérèse est alors confirmée dans cette certitude que Marie lui a souri.

De fait, n'avait-elle pas alors retrouvé la force de faire confiance à la vie et d'en
accepter la douloureuse réalité avec ses séparations et ses morts ?

Ce fut comme une nouvelle naissance.

Elle reçut du sourire de Marie la grâce de vivre et elle en reste marquée au plus profond de son être.

L'important n'est pas de savoir si Thérèse a eu une vision fort difficile de toute façon à distinguer des hallucinations qu’elle avait alors.
L’important est la grâce de confiance en la vie que Thérèse a reçu par la médiation de Marie.
Elle a compris qu'en Marie, Dieu ne laisserait jamais mourir la force d'un amour maternel dont elle a un besoin vital.
Ce qui est admirable dans cet événement, c’est que la grâce mariale puisse rejoindre la souffrance à une telle profondeur :
Cela est plus miraculeux qu’une vision !
Dans le contexte d'une maladie qui atteint jusqu'aux racines de sa personnalité,
c'est par Marie que Thérèse reçoit la grâce de sourire à nouveau à la vie !


Une Lumière Pour toute L’Existence


Elle voudra signifier sa reconnaissance en faisant partie de l'association des enfants de Marie malgré les sacrifices que cela lui demandera.

Devenant carmélite, elle sera heureuse d'entrer dans l'Ordre de la Vierge et de porter son habit.
Approchant du terme de son itinéraire terrestre, elle consacrera à Marie son dernier et plus long poème :

"Toi qui vint me sourire au matin de ma vie Vient me sourire encore... Mère... voici le soir !..."(PN 54,25)
Ce sourire de Marie a ainsi illuminé toute la vie de foi de Thérèse.
Elle qui fut si profondément blessée dans son affectivité au point d'en perdre la raison et presque la vie, a puisé dans ce sourire la grâce d'une renaissance.
Par son Esprit, Dieu veut aussi nous faire renaître en sa tendresse.
Marie nous donne de découvrir ce mystère, elle qui fut toute entière livrée à l'Esprit et reçut de Jésus à la Croix la mission d'être notre Mère.
Le sourire de Marie est plus vrai que toutes les blessures infligées par la vie.
Il est un signe de la tendresse de Dieu plus certain que toutes nos détresses.
Il peut ouvrir à la confiance le coeur de toute souffrance humaine et conduire à la vie la profondeur de l'homme !

Au Commencement, Le Sourire

Il y a une dimension originaire du sourire en toute existence humaine.

Lors des régressions que provoque la souffrance, nous pouvons, comme Thérèse,
rejoindre au plus profond le sourire de Marie pour renaître à la confiance et à l’espérance :
laisser jaillir ces douces larmes qui libèrent de larmes bien amères.
Nous contemplons pour cela Marie dans l’Evangile silencieusement présente, gardant fidèlement toutes choses en son coeur.(cf.Lc.2,19.51)
Marie, notre mémoire silencieuse des merveilles de Dieu, nous rejoint en effet dans cette dimension fondamentale de notre histoire humaine :


L’expérience Du Sourire.

Le sourire de Marie apparaît alors comme fondement de l’existence et promesse de son accomplissement en Dieu,
comme signe de l’amour de Dieu pour nous.
Notre expérience humaine s’enracine ainsi dans l’expérience de foi.
Le sourire de la mère est ce sur quoi repose notre expérience de Dieu.
Il devient en Marie Révélation du mystère de Dieu comme amour prévenant et inconditionnel.
Ce sourire rend possible le travail de deuil, le consentement à la séparation sur la base d’une confiance fondamentale.
L’enfant sait qu’il ne sera pas abandonné.Le croyant sait que la Résurrection est le sens de la Croix.
Pour passer de ce sourire originel à l’expression adulte de la foi évangélique, un travail est nécessaire.
Il y a en effet un passage normal par un usage idolâtrique de certains aspects de la foi.
Nous projetons sur tel aspect du mystère notre désir de toute puissance qui est dénégation de la finitude et de la mort.
Grâce au cheminement de la foi vécu en église, nous intégrons progressivement toutes les dimensions du mystère.
La découverte initiale reste vraie.
Elle l’est même plus que jamais car elle est enrichie par toutes les autres dimensions du mystère de la foi.

Le sourire de Marie devient proprement icône du mystère de Dieu lorsque Marie est contemplée debout au pied de la Croix.
Le recours à la figure maternelle de Marie ne conduit pas alors à une dénégation de la souffrance et de la mort.
Les Évangiles de l’Enfance font eux-mêmes ce travail en annonçant déjà la Passion et la mort de Jésus.


Jusqu’au Bout, Le Service

Thérèse montre comment elle a accompli elle-même ce travail de la f
oi à travers son poème sur Marie .
(Pourquoi je t’aime, ô Marie)Sa méditation est éclairée uniquement par l’écriture d’une manière tout à fait originale pour l’Eglise de son temps.
Nous passons ainsi de la représentation d’une mère toute puissante,
capable d’assurer la vie à sa petite fille menacée d’anéantissement,
à la vision d’une femme qui vit dans la nuit de la foi et sert humblement sa famille.
« Ce ne sont point les travaux de Marthe que Jésus blâme, ces travaux, sa divine Mère s'y est humblement soumise toute sa vie
puisqu'il lui fallait préparer les repas de la Sainte Famille. »
(Ms.C 36 r°)

Au lieu d’idéaliser Marie, Thérèse voit en elle une femme simple et proche de notre expérience concrète.
Marie est ainsi notre Mère en étant attentive à nos besoins, mais surtout en nous donnant Jésus.

Mais, nous pouvons aussi nous reconnaître en elle, car elle a connu la souffrance et en cela, elle est avant tout notre Soeur.


Marie, notre Soeur, est en effet un modèle imitable pour tout chrétien :
modèle de charité dans l’humble service du prochain,
modèle d’espérance à travers son silence dans les épreuves,
modèle de foi lorsqu’elle cherche Dieu dans la nuit,
modèle d’exultation dans la louange (Lc.1,46-55) et de prière humble et confiante (Jn.2,1-12}















MONSIEUR MARTIN, CELINE ET THERESE

V 4/11 : A 3 h du matin, début du voyage à Rome de M. Martin, Céline et Thérèse, avec le pèlerinage des diocèses de Coutances et de Bayeux qui va fêter le jubilé sacerdotal de Léon Xlll.

4-6/11 : A Paris, grâce mariale à Notre-Dame-des-Victoires (A, 56v"). Champs-Elysées, Tuileries, Etoile, Bastille, Palais-Royal, Louvre.
Le dimanche, rassemblement dans la crypte du Sacré-Coeur (en construction), les Invalides, le Guignol des Champs-Elysees. . .

7-13/11 : La Suisse, Milan, Venise, Bologne.

D. 13/11 : A Lorette, Céline et Thérèse communient à la Santa Casa. Arrivée à Rome.

L. 14/11 : Visite du Colisée. Prière aux Catacombes de Saint-Calixte et station a Sainle Agnès-hors-les-Murs.

D. 20111 : Audience de Léon Xlll. Thérèse parle au pape.

21-22/11 : Excursion a Naples et Pompéi sans M. Martin.

M. 23/11 : M. Martin plaide la cause de Thérèse auprès de M. Révérony.

24/11-2/12 : Voyage de retour: Assise, Florence, Pise. Gênes, Nlce. Marseille, Lyon (Fourvières), Paris.

Le Voyage à Rome : 1887

Trois jours après le voyage de Bayeux, je devais en faire un beaucoup plus long, celui de la ville éternelle ...

Ah ! quel voyage que celui-là !...

Lui seul m'a plus instruite que de longues années d'études, il m'a montré la vanité de tout ce qui passe et que tout est affliction d'esprit sous le soleil...
Cependant j'ai vu de bien belles choses, j'ai contemplé toutes les merveilles de l'art et de la religion, surtout
j'ai foulé la même terre
que les Sts Apôtres, la terre arrosée du sang des Martyrs et mon âme s'est agrandie au contact des choses saintes...

Je suis bien heureuse d'avoir été à Rome, mais je comprends les personnes du monde qui pensèrent que
Papa m'avait fait faire ce grand
voyage afin de changer mes idées de vie religieuse ; il y avait en effet de quoi ébranler une vocation peu affermie.
N'ayant jamais vécu parmi le grand monde, Céline et moi nous trouvâmes au milieu de la noblesse qui composait presque exclusivement le pèlerinage.
Ah ! bien loin de nous éblouir, tous ces titres et ces « de » ne nous parurent qu'une fumée...
De loin cela m'avait quelquefois jeté un peu de poudre aux yeux, mais de près, j'ai vu que
« tout ce qui brille n'est pas or »
et j'ai compris
 cette parole  de l'Imitation :

« Ne poursuivez pas cette ombre qu'on appelle un grand nom, ne désirez ni de nombreuses liaisons, ni l'amitié particulière d'aucun homme. »

J'ai compris que la vraie grandeur se trouve dans l'âme
et non dans le nom puisque comme le dit Isaïe :
« Le Seigneur donnera un autre nom à ses élus »
et St Jean dit aussi :
« Que le vainqueur recevra une pierre blanche sur laquelle est écrit un nom nouveau que nul ne connaît que celui
qui le reçoit.
»
C'est donc au Ciel que nous saurons quels sont nos titres de noblesse.
Alors chacun recevra de Dieu la louange qu'il mérite et celui qui sur la terre aura voulu être le plus pauvre,
le plus oublié pour l'amour de
Jésus, celui-là sera le premier, le plus noble
et le plus riche !...

La seconde expérience que j'ai faite regarde les prêtres. N'ayant jamais vécu dans leur intimité, je ne pouvais comprendre le but principal de la réforme du Carmel.
Prier pour les pécheurs me ravissait, mais prier pour les âmes des prêtres, que je croyais plus pures que
le cristal, me semblait étonnant ...

Ah ! j'ai compris ma vocation en Italie, ce n'était pas
aller chercher trop loin une si utile connaissance...

Pendant un mois j'ai vécu avec beaucoup de saints
prêtres et j'ai vu que, si leur sublime dignité les élève au-dessus des anges, ils n'en sont pas moins des hommes
faibles et fragiles...
Si de saints prêtres que Jésus appelle dans son Évangile :
« Le sel de la terre »
montrent dans leur conduite qu'ils ont un extrême besoin de prières, que faut-il dire de ceux qui sont tièdes ?
Jésus n'a-t-Il pas dit encore :
« Si le sel vient à s'affadir, avec quoi
l'assaisonnera-t-on
? »

Ô ma Mère ! qu'elle est belle la vocation ayant pour but
de conserver le sel destiné aux âmes !
Cette vocation est celle du Carmel, puisque l'unique fin de nos prières et de nos sacrifices est d'être l'apôtre des apôtres, priant pour eux pendant qu'ils évangélisent les âmes par leurs paroles et surtout par leurs exemples...
Il faut que je m'arrête, si je continuais de parler sur ce sujet je ne finirais pas ...

Je vais, ma Mère chérie, vous raconter mon voyage
avec quelques détails, pardonnez-moi si je vous en
donne trop, je ne réfléchis pas
 avant d'écrire, et je le fais en tant de fois différentes,
à cause de mon peu de temps libre, que mon récit vous paraîtra peut-être ennuyeux...
Ce qui me console c'est de penser qu'au Ciel je vous reparlerai des grâces que j'ai reçues et que je pourrai
le faire alors en termes agréables et charmants...
Plus rien ne viendra interrompre nos épanchements intimes et dans un seul regard, vous aurez tout compris...
Hélas, puisqu'il me faut encore employer le langage de la triste terre, je vais essayer de le faire avec la simplicité d'un petit enfant qui connaît l'amour de sa Mère!...

Ce fut le sept novembre que le pèlerinage partit de Paris, mais Papa nous conduisit dans cette ville quelques jours avant pour nous la faire visiter.

Un matin à trois heures, je traversai la ville de Lisieux encore endormie ; bien des impressions passèrent dans
mon âme à ce moment.
Je sentais que j'allais vers l'inconnu et que de grandes choses m'attendaient là-bas...
Papa était joyeux ; lorsque le train se mit en marche, il chanta ce vieux refrain :
« Roule, roule, ma diligence, nous voilà sur le grand chemin. »
Arrivés à Paris dans la matinée, nous commençâmes aussitôt à le visiter.
Ce pauvre petit Père se fatigua beaucoup afin de nous faire plaisir, aussi nous eûmes bientôt [vu] toutes les merveilles de la capitale.
Pour moi, je n'en trouvai qu'une seule qui me ravit,
cette merveille fut :
« Notre Dame des Victoires ».
Ah ! ce que j'ai senti à ses pieds je ne pourrais le dire...
Les grâces qu'elle m'accorda m'émurent si profondément que mes larmes seules traduisirent mon bonheur,
comme au jour de ma première communion...
La Sainte Vierge m'a fait sentir que c'était vraiment
elle qui m'avait souri et m'avait guérie.
J'ai compris qu'elle veillait sur moi, que j'étais son enfant, aussi je ne pouvais plus lui donner que le nom de
« Maman »
car il me semblait encore plus tendre que celui de Mère...
Avec quelle ferveur ne l'ai-je pas priée de me garder toujours et de réaliser bientôt mon rêve en me cachant
à l'ombre de son manteau virginal !...
Ah! c'était là un de mes premiers désirs d'enfant...
En grandissant j'avais compris que c'était au Carmel qu'il me serait possible de trouver véritablement le manteau
de la Sainte Vierge et c'était vers cette montagne
fertile que tendaient tous mes désirs...

Je suppliai encore Notre Dame des Victoires d'éloigner
de moi tout ce qui aurait pu ternir ma pureté,
je n'ignorais pas qu'en un voyage
comme celui d'Italie, il se rencontrerait bien des choses capables de me troubler, surtout parce que ne
connaissant pas le mal je craignais
 de le découvrir, n'ayant pas expérimenté que tout
est pur pour les purs et que l'âme simple et droite ne voit de mal à rien, puisqu'en effet
le mal n'existe que dans les coeurs impurs et non dans
les objets insensibles...
Je priai aussi St Joseph de veiller sur moi ; depuis mon enfance j'avais pour lui une dévotion qui se confondait avec mon amour pour la Ste Vierge. Chaque jour
je récitais la prière :
« Ô St Joseph père et protecteur des vierges »
aussi ce fut sans crainte que j'entrepris mon lointain
voyage, j'étais si bien protégée qu'il me semblait impossible d'avoir peur.

Après nous être consacrés au Sacré Coeur dans la basilique de Montmartre nous partîmes de Paris
le lundi 7 dès le matin ; bientôt nous eûmes fait connaissance avec les personnes du pèlerinage.
Moi si timide qu'ordinairement j'osais à peine parler,
je me trouvai complètement débarrassée de ce gênant défaut ; à ma grande surprise
je parlais librement avec toutes les grandes dames, les prêtres et même Monseigneur de Coutances.
Il me semblait avoir toujours vécu dans ce monde-là.
Nous étions, je crois, bien aimées de tout le monde et
Papa semblait fier de ses deux filles mais s'il était
fier de nous, nous l'étions également de lui, car il
n'y avait pas dans tout le pèlerinage un monsieur plus
beau ni plus distingué que mon Roi chéri ; il aimait
 à se voir entouré de Céline et de moi, souvent lorsque
nous n'étions pas en voiture et que je m'éloignais de lui,
il m'appelait afin que je lui donne le bras
comme à Lisieux...
Monsieur l'abbé Révérony examinait soigneusement
toutes nos actions, je le voyais souvent de loin qui nous regardait ; à table lorsque
 je n'étais pas en face de lui,
il trouvait le moyen de se pencher pour me voir et
entendre ce que je disais.
Sans doute il voulait me connaître pour savoir si vraiment j'étais capable d'être carmélite, je pense qu'il a dû être satisfait de son examen car à la fin du voyage il parut
bien disposé pour moi, mais à Rome il a été loin de
m'être favorable comme je vais le dire plus loin.

Avant d'arriver à cette ville éternelle, but de notre pèlerinage, il nous fut donné de contempler bien
des merveilles. D'abord ce fut
la Suisse avec ses montagnes dont le sommet se perd
dans les nuages, ses cascades gracieuses jaillissant
de mille manières différentes,
ses vallées profondes remplies de fougères
gigantesques et de bruyères roses.

Ah! ma Mère chérie, que ces beautés de la nature répandues à profusion ont fait de bien à mon âme,
comme elles l'ont élevée vers Celui
qui s'est plu à jeter de pareils chefs-d'oeuvre sur une terre d'exil qui ne doit durer qu'un jour...

Je n'avais pas assez d'yeux pour regarder. Debout à la portière je perdais presque la respiration,
j'aurais voulu être des deux côtés du wagon car en me détournant, je voyais des paysages d'un aspect
enchanteur et tout différents de ceux qui
s'étendaient devant moi.
Parfois nous nous trouvions au sommet d'une montagne,
à nos pieds des précipices dont le regard ne pouvait sonder la profondeur semblaient prêts à nous engloutir...
ou bien c'était un ravissant petit village avec ses
gracieux chalets et son clocher, au-dessus duquel se balançaient mollement quelquesnuages éclatants
éclatant de blancheur
plus loin c'était un vaste lac que doraient les derniers rayons du soleil ; les flots calmes et purs empruntant
la teinte azurée du Ciel qui
se mêlait aux feux du couchant, présentaient à nos regards émerveillés le spectacle le plus poétique et le
plus enchanteur qui se puisse
voir...
Au fond du vaste horizon on apercevait les montagnes
dont les contours indécis auraient échappé à nos yeux
si leurs sommets neigeux
que le soleil rendait éblouissants n'étaient venus
ajouter un charme de plus au beau lac qui nous ravissait...

En regardant toutes ces beautés, il naissait en mon
âme des pensées bien profondes.
Il me semblait comprendre déjà la grandeur de Dieu
et les merveilles du Ciel...
La vie religieuse m'apparaissait telle qu'elle est avec
ses assujettissements, ses petits sacrifices accomplis
dans l'ombre.
Je comprenais combien il est facile de se replier sur soi-même, d’oublier le but sublime de sa vocation et je me disais : Plus tard, à l'heure de l'épreuve, lorsque prisonnière au Carmel je ne pourrai contempler
qu'un petit coin du Ciel étoilé, je me souviendrai
de ce que je vois aujourd'hui,
cette pensée me donnera du courage, j'oublierai facilement mes pauvres petits intérêts en voyant la grandeur et la puissance du Dieu
que je veux aimer uniquement.
Je n'aurai pas le malheur de m'attacher à des pailles, maintenant que
«Mon coeur a pressenti ce que
Jésus réserve à ceux qui l'aiment !... »

Après avoir admiré la puissance du Bon Dieu, je pus
encore admirer celle qu'Il a donnée à ses créatures.
La première ville d'Italie que nous avons visitée fut Milan.

Sa cathédrale toute en marbre blanc avec ses statues assez nombreuses pour former un peuple presque innombrable,fut visitée par nous dans ses
plus petits détails.
Céline et moi nous étions intrépides, toujours les
premières et suivant directement Monseigneur afin
de tout voir en ce qui concernait
les reliques des Saints et bien entendre les explications ; ainsi pendant qu'il offrait le Saint Sacrifice sur le tombeau de St Charles nous étions avec papa derrière l'Autel, la tête appuyée sur la châsse [qui] renferme le corps du saint revêtu de ses habits pontificaux,
c'était ainsi partout...
Excepté lorsqu'il s'agissait de monter là où la dignité
d'un Évêque ne le permettait pas, car alors nous
savions bien quitter sa Grandeur...
Laissant les dames timides se cacher la figure dans les mains après avoir gravi les premiers clochetons qui couronnaient la cathédrale,
nous suivions les pèlerins
les plus hardis et arrivions jusqu'au sommet du dernier clocher de marbre, et nous avions le plaisir
de voir à nos pieds la ville de Milan dont les nombreux habitants ressemblaient à une petite fourmilière...
Descendues de notre piédestal, nous commençâmes nos promenades en voiture qui devaient durer un mois,
et me rassasier pour toujours de mon désir de rouler
sans fatigue !
Le campo santo nous ravit encore plus que la cathédrale, toutes ses statues de marbre blanc qu'un ciseau de génie semble avoir animées sont placées sur le vaste champ des morts avec une sorte de négligence, ce qui
pour moi augmente leur charme...
On serait tenté de consoler les idéals personnages
qui vous entourent.
Leur expression est si vraie, leur douleur si calme
et si résignée qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître les pensées d'immortalité qui doivent remplir le coeur des artistes exécutant ces chefs-d'oeuvre.

Ici c'est une enfant jetant des fleurs sur la tombe de
ses parents, le marbre semble avoir perdu sa pesanteur
et les pétales délicats paraissent glisser entre les doigts de l'enfant, le vent paraît déjà les disperser, il paraît aussi faire flotter le voile léger des veuves et les rubans dont sont ornés les cheveux des jeunes filles.

Papa était aussi ravi que nous ; en Suisse, il avait été fatigué mais alors sa gaîté ayant reparu il jouissait
du beau spectacle que nous contemplions, son âme d'artiste se révélait dans les expressions de foi et d'admiration qui paraissaient sur son beau visage.

Un vieux monsieur (français) qui sans doute n'avait pas l'âme aussi poétique nous regardait du coin de l'oeil et disait avec mauvaise humeur, tout en ayant l'air de regretter de ne pas pouvoir partager notre admiration :
« Ah ! que les Français sont donc enthousiastes ! »
Je crois que ce pauvre monsieur aurait mieux fait de rester chez lui, car il ne m'a pas paru être content de son voyage, il se trouvait souvent près de nous et toujours des plaintes sortaient de sa bouche, il était mécontent
des voitures, des hôtels, des personnes,
des villes, enfin de tout...

Papa avec sa grandeur d'âme habituelle essayait de le consoler, lui offrait sa place, etc. enfin il se trouvait toujours bien partout, étant d'un caractère directement opposé à celui de son désobligeant voisin...
Ah ! que nous avons vu de personnages différents, quelle intéressante étude que celle du monde quand on
est près de le quitter !...

A Venise, la scène changea complètement, au lieu du
bruit des grandes villes on n'entend au milieu du silence que les cris des gondoliers et le murmure de l'onde agitée par les rames.
Venise  n'est pas sans charme, mais je trouve
cette ville triste.
Le palais des doges est splendide, cependant il est triste lui aussi avec ses vastes appartements où s'étalent l'or,
le bois, les marbres les plus précieux et les peintures
des plus grands maîtres.

Depuis longtemps ses voûtes sonores ont cessé d'entendre la voix des gouverneurs qui prononçaient des arrêts
de vie et de mort dans les salles que nous avons traversés...
Ils ont cessé de souffrir, les malheureux prisonniers renfermés par les doges dans les cachots et les
oubliettes souterraines...
En visitant ces affreuses prisons je me croyais au
temps des martyrs et j'aurais voulu pouvoir y rester
afin de les imiter !...
Mais il fallut promptement en sortir et passer sur
le pont des soupirs ainsi appelé à cause des soupirs de soulagement que poussaient les condamnés en se voyant délivrés de l'horreur des souterrains auxquels ils préféraient la mort...

Après Venise, nous sommes allés à Padoue, où nous
avons vénéré la langue de St Antoine puis à Bologne
où nous avons vu Sainte Catherine
 qui garde l'empreinte du baiser de L'Enfant Jésus.

Il est bien des détails intéressants que je pourrais
donner sur chaque ville et sur les mille petites circonstances particulières de notre
voyage mais je n'en finirais pas, aussi je ne vais
écrire que les détails principaux.

Ce fut avec joie que je quittai Bologne, cette ville
m'était devenue insupportable par les étudiants dont
elle est remplie et qui formaient une haie quand nous avions le malheur de sortir à pied et surtout à cause
de la petite aventure qui m'est arrivée avec l'un d'eux,
je fus heureuse de prendre la route de Lorette.

Je ne suis pas surprise que la Ste Vierge ait choisi cet endroit pour y transporter sa maison bénie,
la paix,
la joie, la pauvreté y règnent en souveraines ; tout est simple et primitif, les femmes ont conservé leur gracieux costume italien et
n'ont pas, comme celles des autres
villes, adopté la mode de Paris, enfin Lorette m'a
charmée ! Que dirai-je de la sainte maison ?...
Ah! mon émotion a été profonde en me trouvant sous le même toit que la Ste Famille, en contemplant les murs
sur lesquels Jésus avait fixé ses yeux divins, en foulant
la terre que St Joseph avait arrosée de sueurs, où Marie avait porté Jésus entre ses bras, après l'avoir
porté dans son sein virginal...
J'ai vu la petite chambre où l'ange descendit auprès
de la Ste Vierge...
J'ai déposé mon chapelet dans la petite
écuelle de L'Enfant Jésus...
Que ces souvenirs sont ravissants !...
Mais notre plus grande consolation fut de recevoir
Jésus Lui-même dans sa maison et d'être son temple
vivant au lieu même qu'il avait honoré de sa présence.
Suivant un usage d'Italie, le St ciboire ne se conserve dans chaque église que sur un autel, et
là seulement on peut recevoir la Ste
communion, cet autel était dans la basilique même où se trouve la Ste maison, renfermée comme un diamant précieux dans un écrin de marbre blanc.
Cela ne fit pas notre bonheur, c'était dans le diamant lui-même et non pas dans l'écrin que nous voulions
faire la communion...

Papa avec sa douceur ordinaire fit comme tout le monde, mais Céline et moi allâmes trouver un prêtre qui nous accompagnait partout et qui justement se préparait à célébrer sa messe dans la Santa-Casa
par un privilège spécial.
Il demanda deux petites hosties qu'il plaça sur sa patène avec sa grande hostie et vous comprenez, ma Mère chérie, quel fut notre ravissement de faire toutes les deux
la Ste communion dans cette maison bénie !...

C'était un bonheur tout céleste que les paroles sont impuissantes à traduire.
Que sera-ce donc quand nous recevrons la communion
dans l'éternelle demeure du Roi des Cieux ?...
Alors nous ne verrons plus finir notre joie, il n'y aura
plus la tristesse du départ, et pour emporter un souvenir
il ne nous sera pas nécessaire de gratter furtivement les murs sanctifiés par la présence Divine, puisque sa maison sera la nôtre pour l'éternité...

Il ne veut pas nous donner celle de la terre, il se
contente de nous la montrer pour nous faire aimer la pauvreté et la vie cachée, celle qu'il nous réserve est son Palais de gloire où nous ne le verrons plus caché sous l'apparence d'un enfant ou d'une blanche hostie
mais tel qu'Il est dans l'éclat de sa splendeur infinie ! ! !...

C'est maintenant de Rome qu'il me reste à parler, de Rome but de notre voyage, là où je croyais rencontrer la consolation mais où je trouvai la croix !...

À notre arrivée, il faisait nuit et nous étant endormis
nous fûmes réveillés par les employés de la gare qui criaient : « Roma, Roma ».
Ce n'était pas un rêve, j'étais à Rome !...

La première journée se passa hors les murs et ce fut peut-être la plus délicieuse, car tous les monuments ont conservé leur cachet d'antiquité au lieu qu'au centre de Rome l'on pourrait se croire à Paris en voyant la magnificence des hôtels et des magasins.
Cette promenade dans les campagnes romaines m'a
laissé un bien doux souvenir.
Je ne parlerai point des lieux que nous avons visités,
il y a assez de livres qui les décrivent dans toute leur étendue, mais seulement des principales impressions
que j'ai ressenties.
Une des plus douces fut celle qui me fit tressaillir
à la vue du Colisée.
Je la voyais donc enfin cette arène où tant de martyrs avaient versé leur sang pour Jésus, déjà je m'apprêtais à baiser la terre qu'ils avaient sanctifiée, mais quelle déception ! le centre n'est qu'un amas de décombres que les pèlerins doivent se contenter de regarder
 car une barrière en défend l'entrée, d'ailleurs personne n'est tenté d'essayer de pénétrer au milieu de ces ruines...
Fallait-il être venue à Rome sans descendre au Colisée ?...
Cela me paraissait impossible, je n'écoutais plus les explications du guide une seule pensée m'occupait : descendre dans l'arène...
Voyant un ouvrier qui passait avec une échelle je fus sur le point de la lui demander, heureusement je ne mis pas mon idée à exécution car il m'aurait prise pour une folle...

Il est dit dans l'Évangile que Madeleine restant toujours auprès du tombeau et se baissant à plusieurs reprises pour regarder à l'intérieur finit par voir deux anges.
Comme elle, tout en ayant reconnu l'impossibilité de voir mes désirs réalisés, je continuais de me baisser vers les ruines où je voulais descendre ;  à la fin je ne vis pas d'anges, mais ce que je cherchais, je poussai un cri
de joie disant à Céline :
 « Viens vite, nous allons pouvoir passer!... »
Aussitôt nous franchissons la barrière que les décombres atteignaient en cet endroit et nous voilà escaladant les ruines qui croulaient sous nos pas.

Papa nous regardait tout étonné de notre audace, bientôt
il nous dit de revenir, mais les deux fugitives n'entendaient plus rien ; de même
que les guerriers
sentent leur courage augmenter au milieu du péril, ainsi notre joie grandissait en proportion de la peine
que nous avions pour atteindre l'objet de nos désirs.
Céline, plus prévoyante que moi, avait écouté le guide
et se rappelant qu'il venait de signaler un certain petit pavé croisé comme étant celui où combattaient les martyrs, se mit à le chercher, bientôt, l'ayant trouvé et nous étant agenouillées sur cette terre sacrée, nos âmes se confondirent en une même prière...
Mon coeur battait bien fort lorsque mes lèvre s'approchèrent de la poussière empourprée du sang
des premiers chrétiens, je demandai
la grâce d'être aussi martyre pour Jésus et je sentis
au fond du coeur que ma prière était exaucée !...

Tout ceci accompli en très peu de temps ; après avoir pris quelques pierres, nous revînmes vers les murs en ruine
pour recommencer notre périlleuse entreprise.
Papa nous voyant si heureuses ne put pas nous gronder
et je vis bien qu'il était fier de notre courage...
Le Bon Dieu nous protégea visiblement, car les pèlerins ne s'aperçurent pas de notre entreprise étant plus loin que nous, occupés à regarder sans doute les magnifiques arcades, où le guide faisait remarquer « les petits cornichons et les cupides posés dessus », aussi
ni lui ni « messieurs les abbés » ne connurent la joie
qui remplissait nos coeurs...

Les catacombes m'ont aussi laissé une bien douce impression : elles sont telles que je me les étais figurées en lisant leur description dans la vie des martyrs.
Après y avoir passé une partie de l'après-midi, il me semblait y être seulement depuis quelques instants tant l'atmosphère qu'on y respire me paraissait embaumée...
Il fallait bien remporter quelque souvenir des catacombes, aussi ayant laissé la procession s'éloigner un peu, Céline
et Thérèse se coulèrent ensemble jusqu'au fond de l'ancien tombeau de Ste Cécile et prirent de la terre sanctifiée par sa présence.

Avant mon voyage de Rome je n'avais pour cette sainte aucune dévotion particulière, mais en visitant sa maison changée en église, le lieu de son martyre, en apprenant qu'elle avait été proclamée reine de l'harmonie, non pas à cause de sa belle voix ni de son talent pour la musique, mais en mémoire du chant virginal qu'elle fit entendre à son Époux Céleste caché au fond de son coeur,
je sentis pour elle plus que de la dévotion :
une véritable tendresse d'amie...
Elle devint ma sainte de prédilection, ma confidente intime...

Tout en elle me ravit, surtout son abandon, sa confiance illimitée qui l'on rendue capable de virginiser les âmes n'ayant jamais désirs d'autres joies que celles de la vie présente...

Ste Cécile est semblable à l'épouse des cantiques, en elle je vois « Un choeur dans un camp d'armée !... »
Sa vie n'a pas été autre chose qu'un chant mélodieux au milieu même des plus grandes épreuves et cela ne
m'étonne pas, puisque
« l'Évangile sacré reposait sur son coeur ! »
et que dans son coeur reposait l'Époux des Vierges!...

La visite à l'église Ste Agnès me fut aussi bien douce, c'était une amie d'enfance que j'allais visiter chez elle,
je lui parlai longuement de celle qui porte si bien son nom et je fis tous mes efforts pour obtenir une des reliques
de l'Angélique patronne de ma Mère chérie
afin de la lui rapporter, mais il nous fut impossible d'en avoir d'autre qu'une petite pierre rouge qui se détacha d'une riche mosaique dont l'origine remonte au temps de Ste Agnès et qu'elle a dû souvent regarder.
N'était-ce pas charmant que l'aimable Sainte nous donnât elle-même ce que nous cherchions et qu'il nous était interdit de prendre ?...

J'ai toujours regardé cela comme une délicatesse et une preuve de l'amour avec lequel la douce Ste Agnès regarde et protège ma Mère chérie !...

Six jours se passèrent à visiter les principales merveilles de Rome et ce fut le septième que je vis la plus grande
de toutes :
« Léon XIII »...

Ce jour, je le désirais et le redoutais en même temps, c'était de lui que ma vocation dépendait, car la réponse que je devais recevoir de Monseigneur n'était pas
arrivée et j'avais appris par une lettre de vous, ma Mère, qu'il n'était plus très bien disposé pour moi, aussi
mon unique planche de salut était la permission
du St Père... 
Mais pour l'obtenir, il fallait la demander, il fallait
audience au « au Pape », cette pensée me faisait
trembler, ce que j'ai souffert avant l'audience, le Bon Dieu seul le sait, avec ma chère Céline.
Jamais je n'oublierai la part qu'elle a prise à toutes mes épreuves, il semblait que ma vocation était la sienne.
Notre amour mutuel était remarqué par les prêtres du pèlerinage : un soir, étant en société si nombreuse que
les sièges manquaient, Céline me prit sur ses genoux et nous nous regardions si gentiment qu'un prêtre s'écria :
« Comme elles s'aiment, ah ! jamais ces deux soeurs ne pourront se séparer ! »
Oui, nous nous aimions mais notre affection était si pure et si forte que la pensée de la séparation ne nous troublait pas, car nous sentions que rien, même l'océan, ne pourrait nous éloigner l'une de l'autre...
Céline voyait avec calme ma petite nacelle aborder au rivage du Carmel, elle se résignait à rester aussi
longtemps que le Bon Dieu voudrait sur la mer orageuse du monde, sûre d'aborder à son tour sur la rive objet
de nos désirs ...

Le Dimanche 20 Novembre après nous être habillées suivant le cérémonial du Vatican
(c'est-à-dire en noir, avec une mantille de dentelle pour coiffure) et nous être décorées d'une large médaille de Léon XIII suspendue à un ruban bleu et blanc,
nous avons fait notre entrée au Vatican dans la chapelle
du Souverain Pontife.
À 8 heures notre émotion fut profonde en le voyant
entrer pour célébrer la Ste Messe...
Après avoir béni les nombreux pèlerins réunis autour de lui, il gravit les degrés du St Autel et nous montra,
par sa piété digne du Vicaire de Jésus,
qu'il était véritablement
« Le Saint Père ».
Mon coeur battait bien fort et mes prières étaient bien ardentes pendant que Jésus descendait entre les mains
de son Pontife, cependant j'étais remplie de confiance, l'Évangile de ce jour renfermait ces ravissantes paroles :
« Ne craignez pas, petit troupeau, car il a plu à mon
Père de vous donner son royaume. »
Non je ne craignais pas, j'espérais que le royaume du Carmel m'appartiendrait bientôt, je ne pensais pas alors à ces autres paroles de Jésus :
« Je vous prépare mon royaume comme mon Père me l'a préparé. »

C'est-à-dire je vous réserve des croix et des épreuves, c'est ainsi que vous serez digne de posséder ce royaume après lequel vous soupirez; puisqu'il a été nécessaire que le Christ souffert et qu'il entrât par là dans sa gloire, si vous désirez avoir place à se côtés, buvez le calice qu'il a bu Lui-même !...

Ce calice, il me fut présenté par le Saint Père et mes larmes se mêlèrent à l'amer breuvage qui m'était offert.
Après la messe d'action de grâces qui suivit celle de Sa Sainteté l'audience commença.
Léon XIII était assis sur un grand fauteuil, il était vêtu simplement d'une soutane blanche, d'un camail de même couleur et n'avait sur la tête qu'une petite calotte.
Autour de lui, se tenaient des cardinaux, archevêques et évêques mais je ne les ai vus qu'en général, étant
occupée du Saint Père ; nous passions devant lui en procession, chaque pèlerin s'agenouillait à son tour, baisait le pied et la main de Léon XIII, recevait
sa bénédiction et deux gardes-nobles le touchaient par cérémonie, lui indiquant par là de se lever
(le pèlerin, car je m'explique si mal qu'on pourrait croire que c'était le Pape).
Avant de pénétrer dans l'appartement pontifical j'étais bien résolue à parler, mais je sentis mon courage faiblir en voyant à la droite du St Père « Mr Révérony !... »
Presque au même instant on nous dit de sa part qu'il défendait de parler à Léon XIII, l'audience se prolongeant trop longtemps...
Je me tournai vers ma Céline chérie, afin de savoir son avis :
« Parle me dit-elle. »
Un instant après j'étais aux pieds du Saint-Père ayant baisé sa mule il me présentait la main, mais au lieu de la baiser, je joignis les miennes et levant vers son visage mes yeux baignés de larmes, je m'écriai :
« Très Saint Père, j'ai une grande grâce à vous
demander !...
»
Alors le Souverain Pontife baissa la tête vers moi de manière que ma figure touchait presque la sienne, et je vis ses yeux noirs et profonds se fixer sur moi et sembler me pénétrer jusqu'au fond de l'âme. 
« Très Saint-Père, lui dis-je, en l'honneur de votre jubilé, permettez-moi d'entrer au Carmel à 15 ans !.».

 L'émotion avait sans doute fait trembler ma voix, aussi
se retournant vers Mr Révérony qui me regardait avec étonnement et mécontentement, le St Père dit :
« Je ne comprends pas très bien. »
 Si le Bon Dieu l'eût permis il eût été facile que Mr Révérony m'obtint ce que je désirais, mais c'était la croix et non la consolation qu'Il voulait me donner.
 « Très Saint-Père (répondit le Grand Vicaire) c'est une enfant qui désire entrer au Carmel à 15 ans, mais les supérieurs examinent a question en ce moment. »
 « Eh bien, mon enfant, reprit le St Père en me regardant avec bonté, faites ce que les supérieurs vous diront. »
M'appuyant alors les mains sur ses genoux je tentai un dernier effort et je dis d'une voix suppliante :

« Oh! Très Saint Père, si vous disiez oui, tout le
monde voudrait bien !...
»
Il me regarda fixement et prononça ces mots en
appuyant sur chaque syllabe :
« Allons... Allons... Vous entrerez si le Bon Dieu le veut.. »

Son accent avait quelque chose de si pénétrant et de si convaincu qu'il me semble encore l'entendre.
La bonté du St Père m'encourageant je voulais encore parler mais les deux gardes-nobles me touchèrent poliment pour me faire lever, voyant que cela ne suffisait pas, ils me prirent par les bras et Mr Révérony leur aida à me soulever car je restais encore les mains jointes, appuyées sur les genoux de Léon XIII et ce fut de force qu'ils m'arrachèrent de ses pieds...

Au moment où j'étais ainsi enlevée, le St Père posa sa main sur mes lèvres, puis il la leva pour me bénir, alors mes yeux se rempliren de larmes et Mr Révérony put contempler au moins autant de diamants qu'il en avait vus à Bayeux...

Les deux gardes-nobles me portèrent pour ainsi dire jusqu'à la porte et là, un troisième me donna une
médaille de Léon XIII. 
Céline qui me suivait, avait été témoin de la scène qui venait de se passer, presque aussi émue que moi, elle eut cependant le courage de demander au St Père une bénédiction pour le Carmel.
Mr Révérony d'une voie mécontente répondit :
« Il est déjà béni le Carmel. »
Le bon St Père reprit avec douceur :
« Oh oui ! il est déjà béni. »
Avant nous Papa était venu aux pieds de Léon XIII (avec les messieurs).
Mr Révérony avait été charmant pour lui, le présentant comme le Père de deux Carmélites.
Le Souverain Pontife en signe de particulière bienveillance posa la main sur la tête vénérable de mon Roi chéri, semblant ainsi le marquer d'un sceau mystérieux, au nom de Celui dont il est le véritable représentant...
Ah! maintenant qu'il est au Ciel, ce Père de quatre Carmélites, ce n'est plus la main du Pontife qui repose sur son front, lui prophétisant le martyre...
C'est la main de l'Époux des Vierges, du Roi de Gloire, qui fait resplendir la tête de son Fidèle Serviteur, et plus jamais cette main adorée ne cessera de reposer sur le front qu'elle a glorifié !...
 Mon Papa chéri eut bien de la peine de me trouver tout
en larmes au sortir de l'audience, il fit tout ce qu'il put pour me consoler, mais en vain...
Au fond du coeur je sentais une grande paix, puisque j'avais fait absolument tout ce qui était en mon pouvoir
de faire pour répondr à ce que le Bon Dieu demandait de moi, mais cette paix était au fond et l'amertume remplissait mon âme, car Jésus se taisait.
Il semblait absent, rien ne me révélait sa présence...

Ce jour-là encore le soleil n'osa pas briller et le beau
ciel bleu d'Italie, chargé de nuages sombres, ne cessa de pleurer avec moi...

Ah ! c'était fini, mon voyage n'avait plus aucun charme à mes yeux puisque le but en était manqué.
Cependant les dernières paroles du Saint Père auraient
dû me consoler :
n'étaient-elles pas en effet une véritable prophétie ?
Malgré tous les obstacles, ce que le Bon Dieu a voulu
s'est accompli.
Il n'a pas permis aux créatures de faire ce qu'elles voulaient, mais sa volonté à Lui...

Depuis quelque temps je m'étais offerte à L'Enfant Jésus pour être son petit jouet, je Lui avais dit de ne pas se servir de moi comme d'un jouet de prix que les enfants se contentent de regarder sans oser y toucher, mais comme d'une petite balle de nulle valeur qu'il pouvait jeter à terre, pousser du pied, percer, laisser dans un coin ou bien presser sur son coeur si cela Lui faisait plaisir, en un mot,
je voulais amuser le petit Jésus, lui faire plaisir, je voulais me livrer à ses caprices enfantins...
Il avait exaucé ma prière...

À Rome Jésus perça son petit jouet, Il voulait voir ce qu'il y avait dedans et puis l'ayant vu, content de sa découverte, Il laissa tomber sa petite balle et s'endormit...
Que fit-Il pendant son doux sommeil et que devint la petite balle abandonnée ?...
Jésus rêva qu'il s'amusait encore avec son jouet, le laissant et le prenant tour à tour, et puis qu'après
l'avoir fait rouler bien loin
Il le pressait sur son coeur, ne permettant plus qu'il s'éloigne jamais de sa petite main...

Vous comprenez, ma Mère chérie, combien la petite balle était triste de se voir par terre...
Cependant je ne cessais d'espérer contre
toute espérance.

Quelques jours après l'audience du St Père, Papa étant allé voir le bon frère Siméon trouva chez lui Mr Révérony qui fut très aimable.
Papa lui reprocha gaiement de [ne] m'avoir pas aidée dans ma difficile entreprise, puis il raconta l'histoire de sa Reine au frère
Siméon, le vénérable vieillard écouta son récit avec beaucoup d'intérêt, en prit même des notes et
dit avec émotion :
« On ne voit pas cela en Italie ! »
Je crois que cette entrevue fit une très bonne impression
à Mr Révérony ; dans la suite il ne cessa de me prouver qu'il était enfin convaincu de ma vocation.
Au lendemain de la mémorable journée, il nous fallut partir dès le matin pour Naples et Pompéi.
En notre honneur le Vésuve fit du bruit toute la journée, laissant avec ses coups de canon échapper une épaisse colonne de fumée.
Les traces qu'il a laissées sur les ruines de Pompéi sont effrayantes, elles montrent la puissance de Dieu :
« Qui regarde la terre et la fait trembler, qui touche les montagnes et les réduit en fumée... »
J'aurais aimé à me promener seule au milieu des ruines, à rêver sur la fragilité des choses humaines, mais le nombre des voyageurs enlevait une grande partie du charme mélancolique de la cité détruite...

À Naples ce fut tout le contraire, le grand nombre de voitures à deux chevaux rendit magnifique
notre promenade au monastère
San Martino placé sur  une haute colline dominant toute
la ville, malheureusement les chevaux qui nous
conduisaient prenaient à chaque instant le mors aux dents et plus d'une fois je me suis crue à ma dernière heure.
Le cocher avait beau répéter constamment la parole magique des conducteurs italiens :
« Appipau, appipau... » les pauvres chevaux voulaient renverser la voiture, enfin grâce au secours de nos anges gardiens nous arrivâmes à notre magnifique hôtel.
Pendant tout le cours de notre voyage, nous avons été logés dans des hôtels princiers, jamais je n'avais été entourée de tant de luxe,
c'est bien le cas de dire que la richesse ne fait pas le bonheur, car j'aurais été plus heureuse sous un toit de chaume avec l'espérance du Carmel, qu'auprès des lambris dorés, des escaliers de marbre blanc, des tapis de soie, avec l'amertume dans le coeur...

Ah ! je l'ai bien senti, la joie ne se trouve pas dans les objets qui nous entourent, elle se trouve au plus intime de l'âme, on peut aussi bien la posséder dans une prison que dans un palais, la preuve, c'est que je suis plus heureuse au Carmel, même au milieu des épreuves intérieures et extérieures que dans le monde entourée des commodités de la vie et surtout des douceurs du foyer paternel !...

J'avais l'âme plongée dans la tristesse, cependant à l'extérieur, j'étais la même car je croyais cachée la demande que j'avais faite au St Père ; bientôt je pus me convaincre du contraire, étant restée seule dans le wagon avec Céline (les autres pèlerins étaient descendus
 au buffet pendant les quelques minutes d'arrêt) je vis Mr Legoux, vicaire général de Coutances, ouvrir la portière et me regardant en souriant, il me dit :
« Eh bien, comment va notre petite carmélite ?... »

Je compris alors que tout le pèlerinage savait mon secret, heureusement personne ne m'en parla, mais je vis à la manière sympathique dont on me regardait, que ma demande n'avait pas produit un mauvais
effet, au contraire...

À la petite ville d'Assise, j'eus l'occasion de monter dans la voiture de Mr Révérony, faveur qui ne fut accordée à aucune dame pendant tout le voyage.
Voici comment j'obtins ce privilège.
Après avoir visité les lieux embaumés par les vertus
de St François et de Ste Claire nous avions terminé par le monastère de Ste Agnès, soeur de Ste Claire, j'avais contemplé à mon aise la tête de la Sainte, lorsque me retirant une des dernières je m'aperçus avoir perdu
ma ceinture, je la cherchai au milieu de la foule, un prêtre eut pitié de moi et m'aida, [mais] après me
l'avoir trouvée je le vis s'éloigner et je restai seule à chercher, car j'avais bien la ceinture, mais impossible de la mettre, la boucle manquait...
Enfin je la vis briller dans un coin, la saisir et l'ajuster au ruban ne fut pas long, mais le travail précédent l'avait
été davantage, aussi mon étonnement fut grand de me trouver seule auprès de l'église, toutes les nombreuses voitures avaient disparu, à l'exception de
celle de Mr Révérony.

Quel parti prendre ?

fallait-il courir après les voitures que je ne voyais plus, m'exposer à manquer le train et mettre mon Papa chéri dans l'inquiétude,ou bien demander une place dans la calèche de Mr Révérony ?...

Je me décidai à ce dernier parti. Avec mon air le plus gracieux et le moins embarrassé possible malgré mon extrême embarras, je lui exposai ma situation critique et le mis dans l'embarras lui-même, car sa voiture était garnie des messieurs les plus distingués du pèlerinage,
 pas moyen de trouver une place de plus, mais un monsieur très galant se hâta de descendre, me fit monter à sa place et se plaça modestement auprès du cocher.

Je ressemblais à un écureuil pris dans un piège et j'étais loin d'être à mon aise entourée de tous ces grands personnages et surtout du plus redoutable en face
duquel j'étais placée...

Il fut cependant très aimable pour moi, interrompant de temps en temps sa conversation avec les messieurs
pour me parler du Carmel.
Avant d'arriver à la gare tous les grands personnages tirèrent leurs grands porte-monnaie afin de donner de l'argent au cocher (déjà payé), je fis comme eux et pris mon tout petit porte-monnaie, mais Mr Révérony ne consentit pas à ce que j'en fisse sortir de jolies petites pièces, il aima mieux en donner une grande pour
nous deux.

Une autre fois je me trouvai à côté de lui en omnibus, il fut encore plus aimable et me promit de faire tout ce
qu'il pourrait afin que j'entre au Carmel...
Tout en mettant un peu de baume sur mes plaies, ces petites rencontres n'empêchèrent pas le retour d'être beaucoup moins agréable que l'aller, car je
n'avais plus l'espoir
« du St Père », je ne trouvais aucun secours sur la terre qui me paraissait un désert aride et sans eau, toute mon espérance était dans le Bon Dieu seul...

Je venais de faire l'expérience qu'il vaut mieux avoir recours à Lui qu'à ses saints...

La tristesse de mon âme ne m'empêcha pas de prendre un grand intérêt aux saints lieux que nous visitions.
À Florence je fus heureuse de contempler Ste Madeleine de Pazzi au milieu du choeur des carmélites qui nous ouvrirent la grande grille ; comme nous ne savions pas jouir de ce privilège, beaucoup de personnes désiraient faire toucher leurs chapelets au tombeau de la sainte,
il n'y avait que moi qui puisse passer la main dans la grille qui nous en séparait, aussi tout le monde m'apportait des chapelets et j'étais bien fière de mon office...

Il fallait toujours que je trouve le moyen de toucher à tout, ainsi dans l'Église de Ste Croix en Jérusalem
(de Rome) nous pûmes vénérer plusieurs morceaux de la vraie Croix, deux épines et l'un des clous sacrés renfermé dans un magnifique reliquaire d'or ouvragé,
 mais sans verre, aussi je trouvai moyen, en vénérant la précieuse relique, de couler mon petit doigt dans un des jours du reliquaireet je pus toucher au clou qui fut baigné du sang de Jésus...

J'étais vraiment par trop audacieuse !... Heureusement le bon Dieu qui voit le fond des coeurs sait que mon intention était pure et que pour rien au monde je n'aurais voulu lui déplaire, j'agissais avec Lui comme un enfant qui se croit tout permis et regarde les trésors de son Père
comme les siens.
Je ne puis encore comprendre pourquoi les femmes
sont si facilement excommuniées en Italie, à chaque
instant on nous disait :
« N'entrez pas ici... N'entrez pas là, vous seriez excommuniées !... »
Ah ! les pauvres femmes, comme elles sont méprisées !...

Cependant elles aiment le Bon Dieu en bien plus grand nombre que les hommes et pendant la Passion de Notre Seigneur les femmes eurent plus de courage que les apôtres puisqu'elles bravèrent les insultes des soldats et osèrent essuyer la Face adorable de Jésus...

C'est sans doute pour cela qu'Il permet que le mépris soit leur partage sur la terre, puisqu'Il l'a
choisi pour Lui-même...

Au Ciel Il saura bien montrer que ses pensées ne sont pas celles des hommes, car alors les dernières seront les premières... Plus d'une fois pendant le voyage, je n'ai pas eu la patience d'attendre le Ciel pour être la première...
Un jour que nous visitions un monastère de Carmes, ne me contentant pas de suivre les pèlerins dans les galeries extérieures, je m'avançai sous les cloîtres intérieurs...
tout à coup je vis un bon vieux carme qui de loin me faisait signe de m'éloigner, mais au lieu de m'en aller, je m'approchai de lui et montrant les tableaux du cloître, je lui fis signe qu'ils étaient jolis.

Il reconnut sans doute à mes cheveux dans le dos et à mon air jeune que j'étais une enfant, il me sourit avec bonté et s'éloigna voyant qu'il n'avait pas une ennemie devant lui ; si j'avais pu lui parler italien, je lui aurais dit être une future carmélite, mais à cause des constructeurs de la tour de Babel, cela me fut impossible.

Après avoir encore visité Pise et Gênes, nous
revînmes en France.
Sur le parcours la vue était magnifique, tantôt nous longions la mer et le chemin de fer en était si près qu'il me semblait que les vagues allaient arriver jusqu'à nous (ce spectacle fut causé par une tempête, c'était le soir, ce qui rendait la scène encore plus imposante), tantôt des plaines couvertes d'orangers aux fruits mûrs, de verts oliviers au feuillage léger, de palmiers gracieux...

A la tombée du jour nous voyions les nombreux petits
ports de mer s'éclairer d'une multitude de lumières, pendant qu'au ciel scintillaient les premières étoiles...
Ah ! quelle poésie remplissait mon âme à la vue de toutes ces choses que je regardais pour la première et la
dernière fois de ma vie !...

C'était sans regret que je les voyais s'évanouir, mon coeur aspirait à d'autres merveilles, il avait assez contemplé les beautés de la terre, celles du Ciel étaient l'objet de ses désirs et pour les donner aux âmes,
je voulais devenir prisonnière !...

Avant de voir s'ouvrir devant moi les portes de la prison bénie après laquelle je soupirais, il me fallait encore lutter et souffrir, je le sentais en revenant en France, cependant ma confiance était si grande que je ne cessai pas d'espérer qu'il me serait permis d'entrer
le 25 Décembre...

À peine arrivés à Lisieux, notre première visite fut pour
le Carmel.
Quelle entrevue que celle-là !...
Nous avions tant de choses à nous dire, depuis un mois de séparation, mois qui m'a semblé plus long et pendant lequel j'ai plus appris que pendant plusieurs années...
Ô ma Mère chérie ! qu'il m'a été doux de vous revoir, de vous ouvrir ma pauvre petite âme blessée.
À vous qui saviez si bien me comprendre, à qui une parole, un regard suffisaient pour tout deviner !
Je m'abandonnai complètement, j'avais fait tout ce qui dépendait de moi, tout, jusqu'à parler au St Père, aussi je ne savais ce que j
e devais encore faire.

Vous me dîtes d'écrire à Monseigneur et de lui rappeler sa promesse ; je le fis aussitôt, le mieux qu'il me fut possible, mais dans des termes que mon Oncle trouva un peu trop simples, il refit ma lettre ; au moment où j'allais la faire partir, j'en reçus une de vous, me disant de ne pas écrire, d'attendre quelques jours, j'obéis aussitôt, car j'étais sûre que c'était le meilleur moyen de ne pas me tromper.

Enfin 10 jours avant Noël, ma lettre partit ; bien convaincue que la réponse ne se ferait pas attendre, j'allais tout les matins après la messe à la poste avec Papa, croyant y trouver la permission de m'envoler, mais chaque matin amenait une nouvelle déception qui cependant
n'ébranlait pas [ma] foi...
Je demandais à Jésus de briser mes liens, Il les brisa, mais d'une manière toute différente de celle que j'attendais...

La belle fête de Noël arriva et Jésus ne se réveilla pas...
Il laissa par terre sa petite balle, sans même jeter sur
elle un regard...
Mon coeur était brisé en me rendant à la messe de minuit, je comptais si bien y assister derrière les grilles
du Carmel !...
Cette épreuve fut bien grande pour ma foi, mais Celui dont le coeur veille pendant son sommeil, me fit comprendre qu'à ceux dont la foi égale un grain de sénevé, il accorde des miracles et fait changer de place les montagnes, afin d'affermir cette foi si petite ; mais pour ses intimes, pour sa Mère, il ne fait pas de miracles avant
d'avoir éprouvé leur foi.
Ne laissa-t-Il pas mourir Lazare, bien que Marthe et Marie Lui aient fait dire qu'il était malade ?...
Aux noces de Cana, la Ste Vierge ayant demandé à Jésus de secourir ses hôtes, ne Lui répondit-Il pas que son heure n'était pas encore venue ?...
Mais après l'épreuve, quelle récompense, l'eau se
change en vin...
Lazare ressuscite !...
Ainsi Jésus agit-Il envers sa petite Thérèse : après l'avoir longtemps éprouvée, Il combla tous les désirs
de son coeur...

L'après-midi de la radieuse fête passée pour moi dans les larmes, j'allai voir les carmélites ; ma surprise fut bien grande d'apercevoir lorsqu'on ouvrit la grille un ravissant petit Jésus tenant en sa main une balle sur
laquelle était écrit mon nom.
Les carmélites, à la place de Jésus, trop petit pour parler, me chantèrent un cantique composé par ma Mère chérie, chaque parole répandait en mon âme une bien douce consolation, jamais je n'oublierai cette délicatesse du coeur maternel qui toujours me combla des
plus exquises tendresses...

Après avoir remercié en répandant de douces larmes, je racontai la surprise que ma Céline chérie m'avait faite en revenant de la messe de minuit.
J'avais trouvé dans ma chambre, au milieu d'un charmant bassin, un petit navire qui portait le petit Jésus dormant avec une petite balle auprès de Lui, sur la voile blanche Céline avait écrit ces mots :
« Je dors mais mon coeur veille »
et sur le vaisseau ce seul mot : « Abandon ! »
Ah ! si Jésus ne parlait pas encore à sa petite fiancée, si toujours ses yeux divins restaient fermés, du moins, Il se révélait à elle par le moyen d'âmes comprenant toutes les délicatesses et l'amour de son coeur...

Le premier jour de l'année 1888 Jésus me fit encore présent de sa croix mais cette fois je fus seule à la porter, car elle fut d'autant plus douloureuse qu'elle était incomprise...

Une lettre de Pauline vint m'annoncer que la réponse de Monseigneur était arrivée le 28, fête des Sts Innocents, mais qu'elle ne me l'avait pas fait savoir, ayant décidé que mon entrée n'aurait lieu qu'après le carême.

Je ne pus retenir mes larmes à la pensée d'un si long délai.
Cette épreuve eut pour moi un caractère tout particulier, je voyais mes liens rompus du côté du monde et cette fois c'était l'arche sainte qui refusait son entrée à la pauvre petite colombe...
Je veux bien croire que je dus paraître déraisonnable en n'acceptant pas joyeusement mes trois mois d'exil, mais je crois aussi que, sans le paraître, cette épreuve fut très grande et me fit beaucoup grandir dans l'abandon et dans les autres vertus.
Comment se passèrent ces trois mois si riches en grâces pour mon âme ?...
D'abord il me vint à la pensée de ne pas me gêner à mener une vie aussi bien réglée que j'en avais l'habitude, mais bientôt je compris le prix du temps qui m'était offert et
je résolus de me livrer plus que jamais à une vie
sérieuse et mortifiée.
Lorsque je dis mortifiée, ce n'est pas afin de faire croire que je faisais des pénitences, hélas !
je n'en ai jamais fait aucune, bien loin de ressembler aux belles âmes qui dès leur enfance pratiquaient toute
espèce de mortifications, je ne sentais pour elles aucun attrait ; sans doute cela venait de ma lâcheté, car j'aurais pu, comme Céline, trouver mille petites inventions
pour me faire souffrir, au lieu de cela je me suis toujours laissée dorloter dans du coton et empâter comme un petit oiseau qui n'a pas besoin de faire pénitence...
Mes mortifications consistaient à briser ma volonté, toujours prête à s'imposer, à retenir une parole de réplique, à rendre de petits services
sans les faire valoir, à ne point m'appuyer le dos quand j'étais assise, etc., etc...
Ce fut par la pratique de ces riens que je me préparai à devenir la fiancée de Jésus, et je ne puis dire combien cette attente m'a laissé de doux souvenirs...
Trois mois passent bien vite, enfin le moment si
ardemment désiré arriva.



 

 






















 
   
 
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